Les éléments clés à évaluer lors d’un bilan orthophonique

Par Alphonse Doutriaux

26 septembre 2023

10 min

Le bilan orthophonique est indispensable à toute prise en charge d’un patient souffrant d’un trouble de la voix (dysphonie). Si chaque orthophoniste possède ses astuces et des habitudes pour réaliser un bilan vocal, celui-ci doit être composé de certains éléments clés, comme l’enregistrement du temps maximal phonatoire, de la voix nue ou de l’étendue vocale.
Grâce à notre formation pour orthophoniste, découvrez comment réaliser un bilan orthophonique qui soit clair, précis et reproductible.

Étude du dossier médical du patient

Avant de réaliser un bilan orthophonique et de prendre en charge un patient atteint de dysphonie, ce dernier doit être vu par un ORL ou un médecin phoniatre. Il n’est pas nécessaire de prendre en soin un patient avant d’avoir un diagnostic et des photos/vidéos de la lésion. De la même manière, un kinésithérapeute ne démarre pas sa prise en soin avant d'observer les radios de son patient.

Important

Dans un premier temps, l’orthophoniste doit parcourir les courriers, les ordonnances, les photos ou les vidéos du dossier médical du patient pour obtenir un maximum d’informations sur la pathologie. Si le dossier médical comporte une ou plusieurs vidéos des cordes vocales, il est indispensable de les visualiser.

L’étude du dossier médical du patient donne l’occasion de vérifier qu’il n’y ait pas de contre-indication au test vocal. S’il manque un élément important dans le dossier médical (comme la visualisation du plan glottique), il est recommandé de renvoyer le patient auprès d’un ORL ou d’un phoniatre. Ceci afin de ne pas passer à côté de dysplasie, d’une récidive de cancer ou de papillomatose.

 

Quand doit intervenir l’orthophoniste en cas de problématique vocale ?

  • Après la visualisation du plan glottique.
  • Dans un délai de 5 à 8 jours s’il y a eu une phonochirurgie (en fonction de l’ordonnance).
  • Quelques jours ou quelques semaines après une injection ou une médialisation.

Astuce

Il est conseillé de communiquer régulièrement avec le phoniatre, l’ORL ou le médecin généraliste. Si le patient est envoyé par son médecin traitant, avec une ordonnance simple, l’orthophoniste doit prendre l’initiative de se rapprocher d’un médecin ORL ou d’un phoniatre.

Traitement de l'anamnèse

Avant de commencer le bilan vocal du patient, l’orthophoniste doit dresser son anamnèse afin de bien comprendre son histoire et son mode de vie. L’anamnèse du patient se constitue de plusieurs éléments :

  • le nom du médecin adresseur et la raison de l’adressage (le compte-rendu de bilan doit lui être retourné) ;
  • la plainte du patient ;
  • la gêne ou le handicap ;
  • le début de la plainte (mode d’entrée de la dysphonie) ;
  • le caractère brutal ou progressif ;
  • le mode de vie (habitation, situation familiale, profession, environnement, loisirs…) ;
  • le type de personnalité ;
  • le contact avec un agent toxique (tabac, alcool…) ;
  • les facteurs aggravants et les comorbidités.

Évaluer une voix, c’est observer un(e) patient(e) dans sa globalité (posture, respiration, personnalité, gestuelle, rapport au corps…). L’orthophoniste doit aussi prendre en compte l’aspect social et émotionnel autour de la voix. Une dysphonie de la voix peut être le signe et l’expression psychosomatique d’un élément compliqué dans la vie du/de la patient(e). Certains patients se rendent compte, dans le cabinet de l’orthophoniste, que leur problématique vocale est en réalité une problématique d’ordre psychologique.

Les mesures acoustiques et leurs interprétations

Il existe plusieurs mesures acoustiques qui peuvent être prélevées et analysées au cours d’un bilan orthophonique.

  1. Le temps maximal phonatoire : la tenue d’une voyelle (“a”, “é” ou “i”) permettant d’avoir une mesure stable et reproductible. La norme est comprise entre 15 et 25 secondes pour un adulte.
  2. Le ratio S/Z : la mesure de la tenue maximale du son “S” et du son “Z” (ils doivent normalement être équivalents). Elle permet de faire la différence entre une problématique respiratoire et une dysphonie.
  3. Le Jitter : la mesure des perturbations à court terme de la fréquence fondamentale du signal sonore (la norme est de 1,04 %). Elle permet de définir si la fréquence fondamentale possède des variations normales ou pathologiques.
  4. Le Schimmer : la mesure des perturbations à court terme de l’amplitude du signal vocal (le seuil normal est de 3,81 %). Elle permet de vérifier la stabilité de l’intensité vocale.
  5. L’étendue vocale : la capacité à produire la note la plus grave et la plus aiguë. L’étendue vocale correspond à l’ensemble des notes qu’une personne est capable de produire. Le patient peut réaliser une sirène ascendante en tenant la lettre “i” ou une sirène descendante en tenant la lettre “ou”. La norme est de 12 notes chez un homme (de la 1 à mi 3) et de 15 notes chez une femme (de sol 2 à sol 4).
  6. La voix d’appel/projetée : la mesure de l’intensité qui permet de faire le lien entre la capacité pulmonaire, la fermeture glottique et l’augmentation de la fréquence. La norme est de 80 à 90 dB.

Rappel

Lisez aussi notre article sur le traitement d’un kyste des cordes vocales.

Quels matériel et logiciel utiliser ?

Lors du bilan orthophonique d’une dysphonie, il est indispensable d’enregistrer la voix du patient à l’aide de logiciels d’enregistrement et de mesure. Il existe de nombreux logiciels de mesure disponibles (gratuits ou payants) qui peuvent être utilisés pour un bilan orthophoniste. Les logiciels Praat, Vocalab et Audacity sont parmi les plus connus. Les formats “.wav” sont généralement plus précis que les formats “.mp3”.

 

Praat est un logiciel de mesure libre de droit, gratuit et facile à utiliser. Il permet d’enregistrer et de mesurer de nombreux paramètres vocaux, même s’il n’est pas nécessaire de tout mesurer dans la pratique quotidienne de l’orthophoniste.

 

Quelles sont les fonctionnalités de base du logiciel Praat utiles au bilan de l’orthophoniste ?

  • Visualiser le spectrogramme de la voix du patient.
  • Observer et mesurer la fréquence fondamentale (ligne bleue sur le spectrogramme).
  • Visualiser l’intensité et les formants de la voix du patient.

Bon à savoir

Le logiciel Praat possède un inconvénient : il n’est pas possible de mettre pause à un enregistrement. Dans ce cas, l’orthophoniste peut réaliser ses enregistrements vocaux à l’aide d’un autre enregistreur en ligne qui dispose d’un bouton “pause”. Vous pouvez ensuite enregistrer et ouvrir cet autre enregistrement dans le logiciel Praat afin de l’analyser.

Il est conseillé d’utiliser des micros pour améliorer la qualité de l’enregistrement de la voix des patients et pour réaliser un bilan orthophoniste. L’orthophoniste peut choisir entre un micro cravate, un micro qui se tient à la main ou un micro de table. Il n’est pas nécessaire d’investir dans du matériel haut de gamme, car il existe aujourd’hui des micros peu onéreux qui suffisent à la pratique en orthophonie.

 

Il est possible, également, d’utiliser le micro du téléphone portable. Le plus important est d’utiliser un matériel identique pour le bilan orthophonique initial et final, et pour tous les patients. Le micro doit être placé à une distance préréglée, à 30 cm des patients, dans l’idéal. Pour bien préparer un bilan orthophonique pour adulte, il est conseillé de remettre une fiche bilan au patient résumant les consignes et les enregistrements vocaux qui sont à réaliser.

Le corpus d'enregistrement

Le bilan vocal n’est pas seulement composé de la voix nue spontanée du patient, car c’est un élément non reproductible qui ne permet pas de faire des comparaisons entre les enregistrements du bilan initial et ceux du bilan final. Le corpus d’enregistrement est donc composé d’éléments reproductibles, simples à comprendre et à réaliser, et d’éléments spontanés afin d’avoir une idée de la problématique vocale du patient. Plusieurs éléments doivent être enregistrés lors du bilan orthophonique.

  • Le temps maximum phonatoire permet d’avoir de la visibilité sur le fonctionnement des cordes vocales, la stabilité du son, sa durée et son intensité, et de situer le patient à un seuil normal ou pathologique.
  • Le comptage (de 0 à 10) est un élément fiable et reproductible qui permet d’observer le geste vocal (respiration, vibration cordale et articulation), les apnées et les reprises inspiratoires.
  • Le ratio S/Z peut être proposé si l’orthophoniste repère des difficultés respiratoires ou des essoufflements (il n’est pas systématique).
  • La voix spontanée et conversationnelle est utile afin d’avoir une vue d’ensemble de la problématique vocale du patient.
  • Le texte lu peut être couplé à la voix spontanée. Il permet de mesurer et d’évaluer la voix, la parole et la phonation en mettant en évidence les prises inspiratoires, la gestion des pauses, l’intonation et la modulation vocale, mais aussi l'écrasement du larynx et la fatigue vocale. Le texte choisi doit être équilibré en mots, syllabes et phonèmes et doit être toujours le même.
  • La voix chantée permet d’observer la capacité du patient à faire varier sa voix dans les fréquences aiguës et graves (modulation vocale) et, ainsi, d’étendre ou de détendre la longueur de ses cordes vocales (et de passer du mécanisme 1 au mécanisme 2).
  • La sirène ascendante ou descendante permet à l’orthophoniste d’observer la capacité du patient à monter dans les notes aiguës (sirène ascendante) et la capacité des cordes vocales à se relâcher (sirène descendante).
  • La voix d’appel ou projetée permet de se rendre compte de l’intensité vocale du patient.
  • La fermeture glottique est surtout utile pour les patients qui ont une fermeture glottique insatisfaisante.

Au cours du bilan, l’orthophoniste doit également noter les tous les signes de troubles tels que les comportements de forçage, les apnées, la capacité respiratoire, le type de respiration utilisé, les différents coups de glotte apparus et l’hyperarticulation qui peut survenir pendant le comptage, la voix spontanée ou à la lecture du texte. 

Bon à savoir

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